Leaders d’opinion, historiens et analystes sont d’avis que le 20 mai est « une fête sans contenu ».
Petits rappels historiques. Selon Pierre Kamé Bouopda, dans son ouvrage intitulé Histoire politique du Cameroun au XXe siècle, Éditions l´Harmattan, Paris, 2016, 594 p. Ahmadou Ahidjo fut élu président du Cameroun en 1960, et John Ngu Foncha devint vice-président. « En 1961, lors de l´unification du Cameroun Français et du Cameroun britannique, le pays pris le nom de « République Fédérale du Cameroun ». On rajouta deux étoiles sur la bande verte du drapeau du Cameroun français afin de symboliser la fédération. En 1962, le franc cfa devint la monnaie officielle du pays (dans les deux zones). Le multipartisme fut interdit, et le parti unique fut appelé Unc (Union nationale camerounaise). En 1970, Salomon Tandeng Muna remplaça A.N.Jua comme 1er ministre du Cameroun britannique puis fut élu vice-président de la République fédérale ».
Le 20 mai 1972, le président Ahidjo organisa un référendum pour mettre fin au système fédéral en vigueur jusqu´à cette époque. Le référendum fut largement gagné et le 20 mai devint la fête nationale d´un Cameroun qui s´appellera désormais « République Unie du Cameroun ». À la même époque, le président Ahidjo adopte la nouvelle doctrine économique du Cameroun, le libéralisme planifié, qui mènera quelques années plus tard, le pays dans la voie du surendettement. Chaque année, les Camerounais fêtent le 20 mai. Pourtant nombre d’analyses soutiennent que « le 20 mai ne commémore pas l’avènement de l’Unité nationale, qui aurait eu lieu le 1er octobre 1961, mais celui de l’Etat unitaire, retour à la forme unitaire de l’Etat, simple notion de droit constitutionnel qui signifie tout simplement le rejet du fédéralisme pratiqué jusque-là. De nos recherches, il ressort que le Cameroun semble être l’un des rares, sinon le seul pays au monde qui ait été colonisé, divisé, et qui n’ait pas cru devoir adopter la date de son Indépendance et/ou de sa Réunification comme fête(s) nationale(s) ».
Le linguiste Jean Takougang va plus loin indiquant même qu’ « une fête nationale commémore un événement qui a marqué de façon profonde, indélébile et irréversible le destin d’un peuple ; un événement dont l’impact et la charge émotionnelle sont tels que plus personne de sensé ne puisse jamais remettre en cause sa pertinence, sa signification et son importance ; un événement fondateur, capable de résister aux morsures du temps, aux humeurs des politiciens les plus torves, aux régimes et aux alternances politiques de tous bords. Une fête nationale commémore un événement révolutionnaire, qui a apporté des changements radicaux marquant une rupture qualitative nette entre le passé et l’avenir, qui émeut chaque citoyen au tréfonds de lui-même et qui chatouille son patriotisme. Un tel événement ne peut être imposé, ni par un décret, une loi ou toute autre force extérieure ». Le Combattant Mboua Massock n’en dit pas moins. « Le 20 mai au Cameroun est une fête sans contenu avéré. Nous ne célébrons rien le 20 mai de chaque année. Qu’un peuple entier soit mobilisé un jour entier pour rien n’est pas seulement débile ? » S’interroge le « leader nationaliste panafricain agissant ».
Pour une autre franche d’analystes certainement plus importante, le Cameroun devrait comme le font certains pays célébrer l’unité le jour où il a acquis son indépendance c´est-à-dire le 1er janvier.
« Dans son souci de purger le pays d’une part importante de son passé, le pouvoir n’a pas hésité à s’investir dans la production d’une histoire officielle expurgée des souvenirs jugés « dangereux ». Dans les discours officiels et les manuels d’histoire, l’indépendance et la réunification des deux Cameroun furent présentés comme des trophées du régime postcolonial et le chef de l’Etat, dans l’optique de son projet hégémonique, en accaparant l’évènement par des images telles que « Père de l’indépendance », « Père de la nation » ou encore « premier Camerounais »… le discours et l’œuvre des nationalistes furent falsifiés et confinés dans le lexique du terrorisme, lorsqu’ils n’étaient pas tout simplement passés sous silence », affirme Yves Mintoogue.
Par Blaise-Pascal Dassié
Dr Pascal Ella Ella :« Il y a eu des défaillances sur le plan institutionnel et normatif »
Politologue et chercheur à l’université de Yaoundé II, il analyse le concept du « vivre ensemble », présenté cette année comme la pierre angulaire de la célébration du 45e anniversaire de la Fête nationale de l’Unité.
Le Cameroun célèbre la fête de l’Unité dans 48h sous le prisme du « vivre ensemble », croyez-vous à ce concept ?
Parler d’unité nationale n’est forcément pas un leurre puisqu’il y a un ensemble de préalables qui permettent de comprendre que le Cameroun est un Etat unitaire. Le simple fait d’avoir une population qui vit dans un espace et un cadre territorial est constitutif de l’unité nationale. Il y a également un ensemble de référentiels socioculturels qui se construisent dans l’histoire et c’est cela qui nous permet de parler d’unité nationale en ce sens qu’il y a des paramètres à mettre en musique pour passer du discours à la réalité. Il faut également signaler que c’est une conception doctrinale qui date depuis la mise en place de nos Etats et qui, au fil du temps semble se parfaire pour aboutir à une nation
Est-ce que dans la réalité vous avez l’impression que le Cameroun est « un et indivisible » ?
On ne peut pas escamoter qu’il y a des difficultés qui tendent à freiner les efforts consentis par les acteurs depuis des années. C’est le cas du tribalisme, du repli identitaire, l’ethnicisme qui viennent édulcorer la mise en forme de l’unité nationale ; ce n’est pas une condition paradisiaque mais il faut croire que c’est un construit qui demande l’implication de tous. Gouvernants et gouvernés doivent se mettre au travail car la tâche est ardue et seule l’implication des uns et des autres mais surtout la sincérité permettrait d’atteindre les objectifs escomptés.
Dans le contexte actuel il ya la crise anglophone où certains citoyens ont du mal à se retrouver dans les discours prononcés par les autorités. Croyez-vous qu’on aurait pu éviter cela ?
C’est vrai qu’il y a eu des défaillances sur le plan institutionnel et normatif qui sont venues réduire la possibilité qu’ont les pouvoirs publics à améliorer les conditions de vie des populations. Mais cela n’enlève rien à la qualité de nation à notre Etat, en ce sens qu’on peut bien trouver des solutions aux problèmes de l’heure et le lendemain d’autres revendications vont surgir. La nature humaine est ainsi faite, tout en précisant que la satisfaction n’est pas de ce monde. On pourrait donc ranger ces mouvements dans le cadre de la criminalisation des Etats en reconnaissant tout de même qu’il y a eu comme une sorte d’exagération dans la compréhensibilité de ces réclamations et que les solutions à ces problèmes posés arrivent déjà sans que cela ne fasse grand bruit.
Certains acteurs politiques appellent au boycott de la célébration de l’édition 2017 de la fête de l’unité. Que vous inspire cette démarche ?
En fait, on ne peut pas tout d’un coup expliquer les éléments de boycott de certains opérateurs politiques car cela invoque la relecture et la réécriture des mécanismes implémentées par les autorités. Car il serait bon d’avancer en appliquant tout ce qui a été énoncé et promis par les pères fondateurs de la République. Maintenant on peut critiquer le mode opératoire qui s’apparente au clientélisme politique ; ce qui n’enlève pas la substance de ces voix discordantes. Vous savez aussi qu’en politique l’on peut profiter d’une telle occasion pour passer des messages même si fondamentalement de tels discours ont du mal à prospérer ; le peuple camerounais étant déjà mature. Qu’à cela ne tienne, il faut aussi fournir des efforts en matière de gouvernance pour justement éviter que quelques profito-situationnistes ne se mettent en branle le temps d’une célébration.
Face à tout ce qui a été évoqué et à la lecture du climat ambiant, sous quel prisme placez-vous la célébration du 20 mai 2017 ?
Sur le plan festif, la fête aura bien lieu mais sur le plan opérationnel il y a beaucoup d’éléments à prendre en considération. Je parlais encore de la gouvernance, l’inertie, la gabegie, l’inégale répartition des fruits de la croissance, bref des tares et avatars que l’autorité central a souvent décrié dans ses différentes allocutions. Maintenant, il faut penser à apporter des solutions aux populations afin d’améliorer leurs conditions de vie ; c´est-à-dire la santé pour tous, l’éducation, la mise à leur disposition des éléments basiques censés les mettre à l’abri du besoin. Il faut surtout changer le discours qui a souvent des élans de campagne mais sur la pratique le peuple souverain se voit flouer.
Entretien réalisé Par Dimitri AMBA
Stagiaire
Source: Le Messager