Depuis la semaine dernière, l’équipe conduite par Peter Mafany Musonge est désormais à pied d’œuvre pour apporter des solutions aux problèmes posés.
«Nous vivons une journée mémorable dans l’histoire de la construction de notre Nation ». Ainsi parlait le Premier ministre, chef du gouvernement, le jeudi 27 avril dernier au palais des Congrès de Yaoundé. Philemon Yang procédait alors, au nom du chef de l’Etat, à l’installation du président et des membres de la Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme (CNPBM). Instance créée le 23 janvier dernier par décret présidentiel, celle-ci est chargée, sous l’autorité du président de la République, « d’œuvrer à la promotion du bilinguisme, du multiculturalisme au Cameroun, dans l’optique de maintenir la paix, de consolider l’unité nationale du pays et de renforcer la volonté et la pratique quotidienne du vivre-ensemble de ses populations », comme on peut le lire à l’article 3, alinéa 1 du décret susmentionné. La Commission dirigée par l’ancien Premier ministre Peter Mafany Musonge vient donc à la suite de l’annonce, le 31 décembre 2016 lors de son traditionnel message de fin d’année à la nation, par le chef de l’Etat. Face à la situation née des mouvements d’humeur des avocats et enseignants des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, Paul Biya indiquait alors : « Nous sommes disposés, à la suite et dans l’esprit des artisans de la Réunification, à créer une structure nationale dont la mission sera de nous proposer des solutions pour maintenir la paix, consolider l’unité de notre pays et renforcer notre volonté et notre pratique quotidienne du vivre-ensemble».
L’on comprend donc que très peu de temps après cette annonce, le président de la République n’a pas tardé à réagir. La Commission, constituée de quinze membres, a été créée. Ses premiers plénipotentiaires ont été nommés à la suite de trois décrets signés par le chef de l’Etat le 15 mars 2017. Ceux-ci ont été officiellement installés la semaine dernière. En installant ces personnalités venues d’horizons divers, mais dont le leitmotiv est néanmoins le renforcement de la volonté affichée par la majorité des Camerounais de continuer à vivre ensemble, malgré leurs différences, le Premier ministre n’a pas manqué de souligner que « notre pays vient de se doter d’une institution dédiée au renforcement des liens qui unissent, au-delà des différences de langues et de cultures».
Interview 1
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Comment appréciez-vous l’avènement de la Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme ?
Je dois à la vérité de dire que la surprise, les questions et les spéculations suscitées au lendemain de la création de la Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme continuaient de tarauder les esprits des Camerounais quand on a annoncé l’installation des membres de cette commission dont l’une des missions sera de toute évidence la codification de l’usage de nos deux langues officielles dans les sphères administratives et politiques de la vie de la nation. La Commission se chargera aussi de travailler pour la promotion de nos langues, cultures et traditions en brisant les barrières qui pourraient exister entre elles et en montrant aux Camerounais qu’elles constituent des sources intarrissables pour un enrichissement mutuel nécessaire à l’intégration des Camerounais dans le train de la mondialisation.
En tant que citoyenne et directrice du CLPY, quel regard jetez-vous sur la pratique du bilinguisme au sein de notre société ?
La pratique du bilinguisme au sein de notre société actuelle se fait à plusieurs vitesses. Il existe certes une politique nationale du bilinguisme définie par le chef de l’Etat, Son Excellence Paul Biya, avec des instruments de mise en œuvre de cette politique à tous les niveaux de notre système éducatif. Le programme de formation linguistique bilingue et l’Ecole de traduction et d’interprétariat de Buea l’un des instruments les plus visibles de cette mise en œuvre de la politique du bilinguisme. Mais je dois ajouter qu’il existe des cellules de traduction dans les ministères, que la journée nationale du bilinguisme est célébrée chaque année au Cameroun au mois de février, et que certaines grandes personnalités de la République s’expriment indifféremment en français et en anglais lors de leurs prises de parole à la radio et à la télévision. Il manquait une institution de la nation pour réguler cette pratique du bilinguisme et le chef de l’Etat l’a compris.
La Constitution camerounaise fait du français et de l’anglais deux langues d’égale valeur. Que faut-il faire pour amener les Camerounais vers une réelle pratique du bilinguisme au sein de notre société ?
Il y a un travail d’explication des atouts du bilinguisme qu’il faut abattre à la base. La maîtrise de nos langues officielles permet non seulement d’avoir accès aux connaissances et aux savoirs, mais aussi de se positionner dans le monde socio-professionnel. La motivation instrumentale peut aussi renforcer la pratique du bilinguisme : si certains postes de responsabilité sont réservés aux cadres bilingues avérés, notre administration gagnera en célérité, en objectivité et en confidentialité dans le traitement des dossiers.
Propos recueillis par J. F. B
Interview 2
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Comment appréciez-vous le paysage culturel camerounais et la contribution de la Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme dans la cohabitation de nos cultures ?
La saisissante diversité géographique et culturelle du Cameroun est composée par une mosaïque de peuples organisés en communautés différentes, avec 236 langues dénombrées qu’arpentent deux langues officielles, l’anglais et le français. Elle est animée par une tolérante cohabitation des dizaines de confessions religieuses reconnues. Le décret présidentiel portant création, organisation et fonctionnement de la Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme au Cameroun fait de cette structure à la fois un cadre propice et une opportunité idoine pour les cultures, les langues et les traditions du Cameroun. A cet égard, elle se devrait de structurer, d’animer, de promouvoir et de réinventer des modes d’expression et de mise en valeur de cette diversité tant sur le plan patrimonial, économique, touristique, culturel, civique que moral afin de garantir un environnement national où le vivre-ensemble dans l’acceptation de la différence enrichissante et constructive sera la norme institutionnalisée. Son avènement ne peut susciter que l’espérance d’une valorisation des cultures camerounaises dans toutes leurs formes d’expression. L’autre attente la plus importante est de veiller en permanence à transformer le multiculturalisme en un levier de développement et de gouvernance.
Au regard de cette diversité culturelle, que faire pour assurer la promotion de toutes ces identités?
Si la diversité culturelle est au Cameroun un objectif qui consiste à limiter l’uniformisation qui résulte des pratiques discriminatoires et phagocytaires, alors la promotion de toutes les identités camerounaises consistera à mettre en place, au delà du discours incantatoire, une politique d’exception culturelle destinée à effectuer des arbitrages impartiaux. Chaque ethnie du Cameroun est porteuse d’une culture plurielle, c’est-à-dire à la fois créative et dynamique, mais aussi unique, fragile et irremplaçable. Il est donc crucial pour cette Commission de créer un environnement permettant à toutes les cultures de s’épanouir librement.
Certains observateurs pensent que la pratique du bilinguisme et la promotion du multiculturalisme sont aussi liées au changement de mentalités. Votre analyse?
Le changement de mentalités ne se décrète pas. Il est un construit culturel à partir des normes et des unités de valeurs institutionnalisées qui servent de repères comportementaux à tous les membres d’une société. Pour que les citoyens soient prêts au changement de mentalité, la première approche est que chacun porte son attention sur les moteurs de sa motivation. Le Cameroun doit identifier et vulgariser les besoins fondamentaux de ses citoyens (besoins physiologiques, de sécurité, d’appartenance, de reconnaissance et d’estime de soi liés à la réalisation de soi).
Propos recueillis par Azize MBOHOU
Source: Cameroon-tribune