Retrouvé mort dans des circonstances encore non élucidées, la polémique enfle. L’évêque de Bafia peut-il avoir des funérailles ecclésiastiques et traditionnelles avant les conclusions de l’enquête qui a été diligentée? La question divise au sein de l’église, de sa communauté coutumière et dans l’opinion. Eléments de réponse.
Le corps de l’évêque du diocèse de Bafia a été retrouvé le 02 juin 2017 à Tsang, localité située à 16 kilomètres du pont d’Ebebda. La découverte, d’abord faite par un pécheur exerçant dans la localité, met fin à trois jours de recherches menées par les services spécialisés des sapeurs pompiers, des forces de défense nationale et des riverains. Sujet sensible et quelque peu polémique, le procureur général près la Cour d’appel du Centre, le magistrat Jean fils Ntamack, après les premières constatations d’usage à instruit le déclenchement d’une enquête criminelle. Une enquête diligentée conjointement par la Direction de la Police judiciaire et le Service central des recherches judiciaires de la Gendarmerie. Retrouvé dans l’arrondissement de Monatélé alors que son véhicule a été préalablement retrouvé sur le pont d’Ebebda dans le Mbam. Ladite enquête est placée sous l’autorité des procureurs de la République de Bafia et Monatélé tandis que le Procureur général près la Cour d’appel du Centre en assure la supervision. La disparition puis la découverte du corps de Monseigneur Jean-Marie Benoît Balla suscitent des questionnements dans le clergé. Nous revisitons quelques témoignages et autres thèses.
Qu’est-ce qui s’est passé?
Les témoignages de ses proches du diocèse de Bafia indiquent que l’évêque disparu est parti du presbytère entre 23 heures et 23 heures 30. Lors de son départ, indique le vigile du presbytère, le prélat était simplement vêtu et ne présentait pas les signes d’un homme en instance de voyage ou particulièrement stressé. La destination du prélat est polémiquée. La même source indique également avoir pris congé de son patron sans avoir décelé en lui le moindre signe d’angoisse. Toutefois, quelques collaborateurs de l’évêque de Bafia indiquent que, contrairement à ses habitudes, Monseigneur Jean-Marie Benoît Bala «n’est pas resté au bureau comme d’habitude. Il était très affaibli depuis le décès de notre confrère.» dixit le vicaire. Impliqué dans l’organisation des obsèques de l’une de ses proches, un parent proche du disparu soutient que «l’oncle (Monseigneur Jean-Marie Benoît Bala, Ndlr) m’a dit qu’il ne sera pas à la levée parce qu’il ne peut pas se lever et il ne peut pas conduire parce qu’il est malade.» Pour sa part, l’Abbé Constant Amombo, se présentant comme fin connaisseur du disparu soutient que «Monseigneur était farouchement opposé aux déplacements nocturnes.»
Quelle est la lecture de la scène?
C’est dans la matinée du 1er juin 2017 que le véhicule de l’évêque de Bafia est découvert sur le pont d’Ebebda. L’attention des curieux et autres proches est attirée par le contenu du siège du côté passager. Outre une serviette de couleur blanche posée entre les deux banquettes avant, l’on peut y voir des pièces d’identité du disparu ainsi que le dossier du véhicule de marque Toyota. En dessous une feuille de papier de format A4. Outre l’entête du diocèse de Bafia, un mot écrit à la main indique : «Je suis dans l’eau.» Une indication oriente les recherches sur un rayon définit dans le fleuve Sanaga. Lieu fréquenté par le mouvement continue des véhicules et la présence des creuseurs de sable, le pont sur la Sanaga ne laisse filtrer aucune information laissant présager d’une activité visible dans la voiture et ses alentours. Pêcheurs et autres travailleurs de cette partie du fleuve indiquent avoir découvert le véhicule stationné dans la matinée. Toutefois, des sources relevées par quelques médias indiquent que le véhicule de l’évêque aurait fait un trajet détourné avant de se retrouver sur le pont.
L’évêque de Bafia s’est-il suicidé?
Les causes de la mort de Monseigneur Jean-Marie Benoît Bala ne sont pas encore clairement définies. Toutefois, la probabilité d’une «mort suspecte» domine les pistes d’interprétations qui ont cours. L’enquête diligentée par le Procureur général près la Cour d’appel du Centre ne conforte-t-elle pas par ailleurs cette hypothèse ? Dans une partie de l’opinion, la thèse d’un suicide a fait son chemin depuis l’annonce de sa disparition. Chez les proches du défunt évêque, l’interprétation de l’état d’esprit varie. Si son chauffeur et quelques personnes à son service décrivent un homme serein avant sa disparition, le vicaire de la cathédrale de Bafia souligne le départ inhabituel du patron du diocèse de son bureau au cours de la journée du 1er juin 2017. «Il était très affaibli depuis le décès de notre confrère.»
La mort de l’évêque de Bafia a-t-elle un lien avec celle du directeur du petit séminaire diocésain?
Retrouvé mort dans sa chambre le 10 mai 2017, le corps du directeur du petit séminaire Saint André de Bafia, l’Abbé Armel Collins Ndjama a été inhumé le 23 mai. Un décès abondamment polémiqué au sein même du clergé. En effet, le défunt a longuement échangé avec ses contacts sur Facebook la veille de la macabre découverte. Originaire du diocèse de Bafia, le Père Remy Ngomo Ngomo témoigne que le défunt évêque lui a confié : «Ton petit frère Armel était mon bras droit en matière de portion des vocations dans le diocèse. Il me laisse malheureux, avec les différents examens de fin d’année en cours, les coordinations déjà annoncées pour juillet et le cinquantenaire du diocèse prévu pour janvier 2018.» Avant de conclure, soutient la même source, «Que la volonté de Dieu soit faite!» Au sujet de quelques débats «métaphysiques» suscités autour des deux décès, le Père Rémy Ngomo Ngomo appelle chrétiens et non chrétiens à garder la sérénité. «Dans la foi, l’espérance et la charité». Dans le même temps, des sources présentent aux funérailles du défunt directeur du petit séminaire Saint André évoquent l’exécution de quelques rituels destinés au présumé meurtrier du jeune prêtre.
L’Abbé Constant Amombo revendique, lui aussi, une proximité avec le prélat disparu. Un prélat qu’il présente comme incapable de se suicider du fait de ses convictions morales et religieuses. Quelques questionnements soutiennent son témoignage. Selon lui, «Pour se suicider, a-t-il (Monseigneur Jean-Marie Bala, Ndlr) besoin de parcourir 60 Km ? Alors qu’il semblerait qu’il avait une autorisation du port d’arme.» Selon ce prêtre, «Il aurait suffi qu’il entrât dans sa chambre pour se tirer une balle dans la tête.» Sur la même lancée, l’ancien collaborateur de Monseigneur Jean-Marie Benoît Bala au séminaire de Mvolyé évoque la compétence de nageur du disparu qui, selon lui, n’aurait pas choisi ce mode opératoire pour se donner la mort. «C’est assez spectaculaire ce genre de mort. En plus, le message est léger, enfantin et digne d’un film de Nollywood : «Je suis dans l’eau» Ce caractère exotique du drame et cette analyse me portent vers le doute cartésien.» Un doute, indique le prélat qui appelle à la manifestation de la vérité. D’autant plus que, selon l’Abbé Constant Amombo «Monseigneur était un homme de foi, enraciné dans le message du Christ, moulé par l’enseignement de l’église et convaincu de servir Dieu, le vrai Dieu.» Dans le même sillage, cette source précise «Je crois que ce beau reflet à l’image de Dieu que j’ai vu et côtoyé, et qui m’a conforté dans ma vocation n’aie pas pu, en si peu de temps, se dénaturer à ce point.»
Prêtre et enseignant d’université, le Docteur Alain Parfait Enyegue fait aussi sienne la thèse d’une mort suspecte de Monseigneur Jean-Marie Benoît Bala. A travers une analyse sémantique, le prêtre propose une interprétation littéraire et liturgique du message «Je suis dans l’eau». Selon le prélat, « Tomber dans l’eau signifierait de manière littéraire et non littérale «être pris dans un piège ou on n’a pas d’issue» En définitive, dixit l’Abbé Docteur Alain Parfait Enyegue «Monseigneur a donné sa vie pour la vie christique. Christ parlait en parabole. Seuls les initiés pouvaient déchiffrer le véritable sens de ses phrases. En laissant le mot : «Je suis dans l’eau» tu as tout dit. Nous savons comment cela s’est déroulé…tu as toujours parlé en énigme. Avec cette phrase, tu nous a tout dit. Nous comprenons aujourd’hui, tu t’es retrouvé dans un piège.»
La lettre envoyée au Nonce apostolique peut-elle résoudre l’énigme?
L’information, d’abord véhiculée sur les réseaux sociaux, n’est pas infirmée par les proches du défunt évêque de Bafia. Outre le Nonce apostolique pour le Cameroun et la guinée équatoriale, Son Excellence Piero Pioppo, Monseigneur Jean-Marie Benoît Bala a adressé des correspondances à l’archevêque de Yaoundé, Monseigneur Jean Mbarga ainsi qu’au Procureur de l’archidiocèse de Yaoundé. Le contenu desdites lettres, lui, est sujet à polémique. Sur la toile et dans certains médias, une partie de l’opinion s’accorde à penser que leurs déchiffrages pourraient permettre de démêler l’écheveau de la mort du prélat. Dans son entourage, des sources indiquent que les courriers expédiés le 29 mai 2017 à la diligence de l’évêque étaient «des plis scellés». Devant le mutisme de la hiérarchie religieuse, quelques défenseurs de l’église Catholique romaine soutiennent que «la lettre adressée au Nonce apostolique évoque quelques difficultés administratives que connait le diocèse de Bafia»
Pourquoi l’enquête est-elle nécessaire?
A l’unanimité, les sources judiciaires peu importe la raison que la mort paraisse évidente, la définition exacte des circonstances ayant conduis au décès sont nécessaires. Dans le cas d’espèce, les interrogations et la polémique qui en découlent, exigent l’ouverture d’une procédure afin de savoir s’il s’agit d’un suicide, d’un accident ou d’un crime maquillé en suicide. Une enquête criminelle différente d’une procédure engagée dans le cadre d’un accident sur la voie publique qui lui entrerait dans le champ de la procédure pénale. Dans les faits, de nombreuses sources évoquent la disparition d’un téléphone ayant préalablement servi à la réception des derniers coups de fil de l’évêque avant sa disparition. Tout comme des sources indiquent la modification du trajet habituel du véhicule pour accéder au pont sur la Sanaga.
Exit ces explications, l’issue des obsèques de l’évêque de Bafia est intimement liée à son genre de mort. Dignitaire de l’église Catholique et issue de la communauté Beti, le défunt ne saurait avoir droit à des obsèques dignes en cas de suicide confirmé. Dans les deux entités, se donner la mort est considéré comme une action négative et déshonorante tant pour le mort que la communauté toute entière. Chez les Beti, l’on ne pourrait alors procéder aux rites funéraires qui saluent la dignité du disparu et honorent la communauté et les ancêtres.
C’est une posture similaire que l’église Catholique adopte. La considération codifiée par de nombreux penseurs de cette chapelle assimile le suicide comme un péché mortel contre soi ainsi que contre les autres et Dieu. A la lecture du droit canon, la privation de sépulture ecclésiastique s’applique à celui qui «deliberato consilio» (délibérément ou de son propre gré) met fin à ses jours. Les funérailles religieuses, selon Thomas d’Aquin dans «Somme théologique» traité qui aborde cette question indique que «L’homicide est un péché non seulement parce qu’il s’oppose à la justice, mais parce qu’il est contraire à la charité que chacun doit avoir envers soi-même. De ce point de vue le suicide est un péché par rapport à soi-même.»
Source: Le Messager:Joseph OLINGA N.