Cameroun – Deniers publics : la gabegie continue

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Le rapport présenté publiquement le 27 juillet 2017 à Yaoundé, par une Chambre des comptes qui n’a pas les moyens humains, financiers et matériels de sa politique, démontre, à travers les quelques comptes pro duits, qu’en matière de finances publiques, il ya encore beaucoup à faire.

La Chambre des comptes de la Cour suprême est malade. Malade de ses effectifs qui pour l’année concernée, sont passés de 164 à 156, de ses ressources financières, avec une réduction des crédits de fonctionnement de 34 mil lions de francs, confirmant ainsi la tendance baissière observée depuis six ans. Son budget est ainsi passé de 1 038 673 000 frs en 2010, à 480 millions en 2015. Heureusement, des financements ponctuels du ministère des finances et de la coopération internationale, lui ont permis de sauver la face. La chambre est aussi malade de ses ressources matérielles. Selon son rapport : « L’état de décrépitude du parc automobile évoqué dans les précédents rapports s’est aggravé en 2015 ». A l’exception de celui du président, les véhicules ont dépassé l’âge de la réforme. Certains sont hors d’usage. Autres maladies : le matériel, le mobilier de bureau et les bâtiments. Le rapport signale qu’aucune amélioration n’a été enregistrée, que le centre d’archivage du quartier Nkozoa est saturé et que son siège actuel est devenu exigu. Malgré tout, le président Marc Ateba Ombala, ses collaborateurs du siège, le parquet général et le greffe se battent comme ils peuvent, avec des résultats qui n’arrivent pas à convaincre tout le monde.

Les irrégularités persistent

La Chambre effectue des contrôles juridictionnels, qui portent sur les comptes de gestion des comptables principaux du trésor placés à la tête des treize circonscriptions financières de l’Etat, des receveurs des collectivités territoriales décentralisées et des agents comptables auprès des établissements publics administratifs (Epa). La production des comptes est faible. Sur les 374 comptes attendus des receveurs municipaux, seuls 88 ont été produits. En intégrant les données antérieures, ces receveurs doivent encore produire 3 458 comptes. Les agents comptables auprès des Epa ont produit 16 comptes sur 97. Avec les comptes non produits antérieurement, ils doivent encore produire 528 comptes. Au sujet des attributions extra juridictionnelles de la chambre qui portent sur le contrôle des comptes des entreprises du secteur public et parapublic, sur 528 comptes attendus, seuls 7 ont été produits.516 autres restent attendus.

A l’examen des comptes produits, les hauts magistrats

A l’examen des comptes produits, les hauts magistrats ont relevé des irrégularités sur les comptes sur chiffres: infidélité dans le rapport des soldes, discordance entre les chiffres du compte de gestion et ceux du compte administratif, accumulation des déficits non apurés et absence de concordance bancaire et de ses annexes. En ce qui concerne les comptes sur pièces, les irrégularités concernent les pièces générales : absence de procès-verbaux divers, des réserves formulées par les comptables entrants, des budgets et des comptes administratifs…Elles concernent aussi les pièces justificatives : mauvaise imputation budgétaire, absence d’ordres de mission, dépassement du nombre de jours de mission par an, chevauchement des missions, ordres de mission signés par les bénéficiaires eux-mêmes, absence des comptes d’emploi, fractionnement des marchés, absence de quittance de reversement des impôts, avantages indus… Une gestion d’épicerie en somme.

Mises en débet et gestion chaotique des sociétés

La Chambre des comptes de la Cour suprême a par ailleurs rendu trois types d’arrêts : mises en débet, recours en révision et non lieux. Le premier arrêt porte sur le contrôle des caisses publiques de la région du Sud, exercice 2010. Mis en cause : les économes du centre médical et du Cetic de campo, les intendants des lycées de Mvomeka et Campo, le receveur municipal de la Communauté urbaine d’Ebolowa, du chef du service administratif et financier de l’Ecole des infirmiers diplômés d’Etat de la même ville, l’intendant du lycée d’Adoum à Ebolowa, et l’économe de l’hôpital de district de Meyomessala. Un débet de 5 977 137 frs est prononcé à l’encontre de Nfjc, receveur municipal à la CU d’Ebolowa. Les autres s’en tirent à bon compte. Le deuxième arrêt concerne l’activité de la cellule de lutte contre la corruption du Minesec en 2006. A.G.intendant du lycée d’Abong Mbang, est accusé de détournement des frais d’examen. Il a été constitué débiteur envers le trésor public de 1 383 000 francs.

Les recours en révision introduits par T.J.B et E.N.G.M. agents comptables à l’Agence de Régulation des Télécommunications, enjoints par la chambre dans une première décision de reverser à l’Etat diverses sommes pour: avantages indus accordés aux personnels financiers, paiement en double des jetons de présence et des frais de téléphone pour un total de 59 100 000 francs, absence de lettres commandes et non reversement des taxes prélevées, ont été rejetés. Pour sa part, le recours en révision introduit par M.S.A. ex Directeur des affaires administratives à l’Université de Ngaoundéré, désigné comptable de fait, pour la gestion de la caisse d’avance des jeux universitaires de 2004 à Yaoundé II-Soa, à hauteur de 31 millions de francs a été déclaré irrecevable. Il doit justifier la dépense de cette somme. Un arrêt de non-lieu a par ailleurs été rendu pour le compte de l’exercice 2010, en faveur de A.A. pour la gestion du CES d’Ondong Adjap par Ebolowa. Les faits à lui reprochés sesont produits sous l’administration de son prédécesseur. La chambre s’est également intéressée à deux sociétés placées sous la tutelle du ministère du tourisme, du ministère des transports et financière du ministère des finances : la Société Hôtelière du Littoral (SOHLI S.A) et la Société Nationale de Transport et de Transit Cameroun (CAMTAINER), pour illustrer leur mauvaise gestion. Elles ont fait parvenir leurs éléments de défense à la Chambre des comptes, pour les exercices 2004 à 2007 inscrits au contrôle. La juridiction relève des lacunes au niveau de la composition du Conseil d’administration (absence du représentant du personnel), de la périodicité des assemblées générales, de la tenue du registre des procès-verbaux de délibérations et des archives, puis de l’irrespect de la règlementation sur les durée du mandat des administrateurs. Ils sont à cheval entre la législation OHADA (3 ans renouvelables une fois) et les statuts (cinq ans renouvelables). En ce qui concerne la CAMTAINER, exercices 2004 à 2009 contrôlés, les magistrats relèvent sa situation « désastreuse ». Aucun des organes de direction prévus par les statuts (Conseil d’administration et Direction générale) ne fonctionne véritablement, l’assemblée générale se tient épisodiquement, aucun responsable régulièrement nommé et situation financière catastrophique.

Le rapport contient aussi l’avis de la chambre sur le projet de loi de règlement de l’exercice 2014 et la certification du compte général de l’Etat pour la même année. Il s’achève par le rappel des recommandations antérieures,relatives au régime financier de l’Etat, à la rénovation de certains cadres juridiques, à la production des comptes, aux dépenses effectuées en avance de trésorerie, aux déficits comptables et à l’absence de matricule dans les actes de nomination. Malgré cette autre maladie des recommandations ignorées, et de la mise en œuvre toujours attendue de la Directive CEMAC n°01/811-UEAC-190-CM-22 recommandant à tous les Etats membres de se doter non d’une chambre, mais d’une Cour des comptes, la juridiction fait de nouvelles recommandations : identification des justiciables devant la Chambre des comptes, notification des décisions et information financière de l’Etat. En conclusion, la Chambre des comptes, sans moyens suffisants pour être plus performante, apparaît de plus en plus, comme un chien (édenté) qui aboie, alors que la caravane des mauvais comptables publics passe. D’où cette réaction dépitée sous anonymat d’un de ses membres : «Que voulez-vous qu’on fasse sans moyens ? Nous sommes des fonctionnaires, nous allons continuer à faire des rapports. Peu importe leur contenu». Dommage !

©Signatures: Guy-Roger Eba’a

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