Âgé d’un demi-siècle, religieux et téméraire, l’avocat Benjamin Crump a bâti sa notoriété en représentant les victimes noires de la police dans les tribunaux. Il représente aujourd’hui la famille de George Floyd ou encore Jacob Blake.
Cinquante-sept ans jour pour jour après l’historique « I have a dream » de Martin Luther King, des milliers de personnes se sont rassemblées le 28 août à l’endroit même où le pasteur baptiste et ardent défenseur des droits avait prononcé son discours. Plus d’un demi-siècle plus tard, ils réclament toujours la fin des violences policières contre la communauté noire et davantage d’égalité, dans un contexte où le mouvement Black Lives Matter (« La vie des Noirs compte ») a pris une ampleur inédite.
Parmi eux figurait un homme qui est de tous ces combats : Benjamin Lloyd Crump. Avocat des droits civiques, il a fait de la défense des Afro-Américains et de la lutte contre « le racisme systémique » aux États-Unis son principal combat. Au total, il a défendu plus de deux cents dossiers de violences policières durant lesquels s’il perd, il ne facture rien. Mais s’il gagne, il prend un tiers de l’argent attribué.
Des affaires historiques
Fort d’un diplôme en droit obtenu à la Florida State University College of Law, c’est en 2002 que Ben Crump se charge pour la première fois d’un dossier sur la mort d’un homme noir impliquant un policier blanc. S’en sont suivis des dizaines comme Martin Lee Anderson, un adolescent afro-américain mort après un passage à tabac en 2006 par des gardiens d’un centre de détention pour jeunes de Floride.

La notoriété de ce ténor du barreau explose en 2012 lorsqu’il représente la famille de Trayvon Martin, un jeune homme noir abattu par balle en Floride par George Zimmerman. Un procès qui a « suscité des passions intenses », selon les mots de l’ancien président Barack Obama. Il aura surtout remis sur le devant de la scène la question du racisme aux États-Unis et engendré des dizaines de manifestations dans tout le pays. C’est suite à ce procès que le mouvement Black Lives Matter a vu le jour.
De George Floyd, cet homme noir décédé sous le genou d’un policier le 25 mai 2020 à Breonna Taylor, une femme noire tuée par la police en mars dans son appartement, en passant par Jacob Blake, un père de famille de 29 ans touché de sept balles dans le dos tirées à bout portant par un policier blanc. Aujourd’hui, les dossiers de toutes les affaires semblables qui font l’actualité sont sur le bureau de l’avocat âgé de 50 ans et originaire de Caroline du Nord.
Deux couleurs, deux justices
Mais si M. Crump remporte des jugements au civil et décroche souvent des millions de dommages et intérêts, comme ce fut le cas dans l’affaire Martin Lee Anderson (10 millions de dollars) la victoire n’est pas toujours obtenue. Par exemple, George Zimmerman a été acquitté par la justice et l’homme qui a tiré sur Michael Brown n’a jamais été inculpé. « C’est exaspérant, déclarait Crump au Washington Post, cela envoie un message à la société que lorsque cette personne n’est pas condamnée et emprisonnée, tout va bien. Cela n’empêche pas les gens de recommencer ». Pour lui, la mort de Georges Floyd « n’est que le dernier point de basculement dans une série de meurtres de Noirs non armés ».
« Nous ne pouvons pas avoir deux systèmes de justice en Amérique, un pour l’Amérique noire et un pour l’Amérique blanche », clamait l’avocat sur le lieu de la mort de George Floyd, le 3 juin dernier. Ce discours contre les inégalités face à la justice, qui est une réalité dans « les tribunaux à travers l’Amérique chaque jour », selon lui, il le tient crûment dans son ouvrage : OpenSeason. Legalized Genocide of Colored People.
Dans ce livre utilisant le terme sensible de « génocide », il témoigne des inégalités de la justice américaine et de la dangerosité d’être un homme noir aux États-Unis à travers les affaires marquantes sur lesquelles il a travaillées. « Vous pouvez aller vous asseoir à l’arrière de n’importe quelle salle d’audience dans n’importe quelle ville de n’importe quel État d’Amérique » pour le constater, affirme-t-il dans une interview à la radio NPR. Depuis 1976, 34% des condamnés à mort exécutés étaient des Noirs, selon le Centre américain d’information sur la peine de mort, alors qu’ils ne représentent que 13% de la population.
Omniprésence médiatique
Toujours vêtu d’un costume décoré d’une broche en forme d’aigle, l’avocat à l’imposante carrure, le ton grave et la voix rauque a décidé de hisser son combat dans les sphères médiatiques et politiques. « Il n’y a pas beaucoup d’options pour les Noirs lorsqu’ils sont tués par la police », justifiait-il.
Aîné d’une fratrie de neuf frères et sœurs, tous élevés par sa grand-mère dans un foyer modeste, il mise énormément sur sa stratégie médiatique offensive pour mener ses combats. Les affaires qu’il choisit ne le sont d’ailleurs pas par hasard. Elles sont souvent une manière de propulser son discours au plus grand nombre. Réseaux sociaux, omniprésence dans les médias… Il porte une attention particulière à la médiatisation de ses affaires pour mobiliser derrière lui l’opinion publique.
Sur Twitter par exemple, il fait partie des premiers à diffuser des images d’injustice ou de violences policières, comptant ainsi sur sa communauté pour dénoncer « la pandémie du racisme et de la discrimination » et amplifier l’audience de son discours. Par exemple, son tweet du 24 août relayant la vidéo de la police tirant sur Jacob Blake a eu plus de 75 000 retweets.
Son omniprésence médiatique paye. Le samedi 29 août, c’est avec Kamala Harris, la colistière du candidat démocrate Joe Biden, que l’avocat a pu s’entretenir.
En plus des opérations sur les réseaux sociaux et dans les médias, Benjamin Crump multiplie également les opérations sur le petit écran. Il apparaît dans plusieurs programmes télévisés et documentaires tels que « Who Killed Tupac ? » (Qui a tué Tupac ?) ou « Evidence of Innocence », une émission dans laquelle il revient sur des dossiers de condamnés à tort. Un documentaire sur la vie de l’avocat va aussi être réalisé pour Netflix d’ici 2021.